La Maison Gastinne Renette est bicentenaire. Son origine est
antérieure à la révolution de 1789.
On sait peu de choses de Renette, arquebusier, rue de Popincourt.
Mais le 8 Mai 1793, Monsieur Henri Renette
contracte un prêt afin de s'établir, ce sera le début de l'histoire.
En 18O9, parmi les canonniers qui se sont le plus distingués en France
on cite M. Renette à Paris.
A la même date, dans le traité Général des chasses à Tir, parmi les procédés
permettant d'employer les poudres, on trouve encore M. Renette à Paris. Ce
procédé Renette sera ensuite perfectionné par Puiforçat, autre arquebusier,
qui deviendra plus tard I'orfèvre renommé que l'on connaît.
Mais pourquoi "arquebusier" et non pas tout simplement "armurier?»
Il faut les distinguer :
Le corps des arquebusiers s'est érigé en corporation dès 1575, il fabrique des
petites armes à feu, à la différence des armuriers qui sont en réalité
heaumiers et qui ne fabriquent
que des éléments défensifs (protection).
L'arquebusier travaille quatre pièces principales : le canon,
la platine, le fust et la baguette,
C'est à Paris que se forgent et se travaillent les meilleurs canons et platines.
Les fusts, ou "bois" sont richement ornementés d'argent, de cuivre ou
d'acier, gravés et ciselés pour les armes de plus haute qualité. C'est la
richesse de I'ornementation et la qualité du travail des métaux, bois et cuirs
qui permettent à l'artisan de mettre en oeuvre son expérience, son habileté,
son sens esthétique pour façonner et construire ces chefs d’œuvre,
Chaque objet devient alors unique.
L'artisan, dont le savoir est transmis de génération en
génération, devient artiste.
L'utilisation de l'arme pour la chasse sera servie, dès lors, par un artisanat
prestigieux tendu vers I'unicité constituant l'oeuvre d'art. Une tradition
respectée par M. Renette, membre remarqué de cette corporation
au début du 19ème siècle.
En 1812, Albert Renette quitte le vieux quartier Popincourt et traverse
Paris pour s'établir aux Champs-Élysées. Il s'est associé à
Louis Gastinne, un militaire réformé en raison des nombreuses blessures
reçues au cours des campagnes de Napoléon 1er. Une bonne
entente règne entre les deux hommes
comme entre les deux familles.
En 1834, le fils de Louis Gastinne, Louis-Julien, épousera la fille
d'Albert Renette, Joséphine Adèle.
Un acte du 8 Avril 1857 entérine I'acquisition par le couple du terrain
"situé à Paris, allée d'Antin n" 39" (aujourd'hui Avenue
Franklin D. Roosevelt) proche du Rond Point des Champs-Élysées
Renette et Gastinne ont choisi les Champs-Élysées pour plusieurs raisons :
le quartier est plein de promesses, il y a de l'air, des terrains libres,
et les bosquets et les allées sont un but de promenade et
de rencontre de la population la plus élégante et
la plus fortunée de Paris.
Non loin de là, dans le quartier du Roule,
au long du Faubourg Saint-Honoré
s'édifient depuis un siècle les plus belles demeures :
Palais de l'Elysée, ambassade d'Angleterre,
ambassade de Turquie... L'espace ne manque pas entre
ce faubourg huppé et la Seine.
L’aventure des Champs-Élysées a vraiment commencé en 1784 avec la
construction de l'enceinte dite "des fermiers généraux"
qui a enfermé une belle campagne plantée d'arbres.
Dès lors, les Parisiens ne désirant pas sortir de l'enceinte se sont mis à
rechercher le bon air sous les ombrages qui prolongent le jardin
des Tuileries. On a tracé des allées piétonnes et cavalières et
des particuliers ont installé des buvettes et des chalets où ils servent des
"restaurations". Bientôt s'ouvriront des théâtres et
toutes sortes de lieux d'amusement.
Après la Révolution, c'est aux Champs-Élysées que se retrouvent
les gens qui veulent enfin "respirer". Le palais de l'Elysée y est alors
transformé en guinguette. Incroyables et Merveilleuses donnent le ton
pour une décennie.
En, 1812, l'Empire et les guerres pèsent sur les façons de vivre. Les
Champs-Élysées demeurent un lieu de détente mais on y voit beaucoup de
militaires. Dans les bosquets ou au bois de Boulogne, on traite
fréquemment d’affaires d’honneur.
C'est donc une situation idéale pour un fabricant et un marchand d'armes
spécialisé dans les pistolets de duel. La qualité des armes
proposées par Renette et Gastinne
leur apporte un grand succès. Il sera durable.
Durant plus d'un siècle, pas un duel n'aura lieu à Paris sans une (ou
plusieurs) visite chez le "canonnier- arquebusier" voisin du Rond-Point.
La guerre terminée, les affaires d'honneur limitées aux grandes
circonstances, on viendra ici choisir ses armes et ses accessoires de chasse
avant d'aller passer la saison sur ses terres.
A la chute de l'Empire, le retour du Roi et la Restauration
réactivent les plaisirs de toutes sortes, le souci de paraître :
les Champs-Élysées s'affirment définitivement
comme la promenade du "beau monde".
On comprend ainsi I'importance que pouvait avoir, alors,
une paire de pistolets achetée chez le meilleur fournisseur.
Il s'agissait de savoir répondre aux sollicitations de la vertu,
certes, mais aussi de faire face "aux hontes, aux ridicules,
aux vanités… " comme le dit Jules Janin.
L'histoire de la Maison Gastinne Renette a toujours été intimement
liée à celles du Rond-Point et des Champs-Élysées
Cela est vrai en 1812 comme en 19OO et encore de nos jours,
mais cela l'est plus encore au milieu du XIXème siècle quand
s'accomplit la grande mutation.
En effet, c'est à la fin du règne de Louis-Philippe, dans les années qui
précèdent la révolution de 1848, que le quartier des Champs-Élysées
cesse d'être uniquement un lieu de promenade et d'amusement
pour devenir aussi résidentiel. De riches hôtels s'y construisent,
de grandes familles s'y établissent ; les Champs-Élysées se peuplent ;
et bientôt ce quartier
devient le plus élégant de Paris.
La maison Gastinne Renette change plusieurs fois d'adresse sans
vraiment changer d'emplacement : elle est d'abord sise "rond-point des
Champs-Élysées", on la trouve ensuite "Allée des veuves"
(actuelle Avenue Montaigne) puis "Allée d'Antin"
(actuelle Avenue Franklin D. Roosevelt).
Elle possédait donc des ouvertures sur les trois côtés du triangle
compris entre l'Avenue Montaigne, l'Avenue Franklin D. Roosevelt et le
Rond-Point des Champs-Élysées Peu à peu, les constructions
renfermeront l'enclos où s'est établi l'Arquebusier.
Ainsi Gastinne Renette était déjà établi au XIXème siècle sur
toutes les faces du triangle qui est, aujourd'hui, le centre mondial
de la Mode, du Prestige et du luxe : le triangle d'or.
L’entrée de Gastinne Renette par l'Allée des Veuves
(future Avenue Montaigne) montre que si le Rond-point s'est construit, on
connaît mieux alors l'Allée des Veuves que l'Allée d'Antin
où les jeunes gens (et les autres) commencent à s'entraîner au pistolet.
Cela tient en partie au fait que, "à trente pas du rond-point",
un sieur Mabille a ouvert un bal réputé entre tous. Warnod,,
dans son histoire des bals à Paris,
raconte que Mabille est le "roi des Champs-Élysées".
Il a, bien sûr, commencé très modestement par un petit établissement
fréquenté par "les gens de maison". Mais après 1840 le "bal Mabille" devient
un brillant lieu de rendez-vous pour le monde littéraire, artistique, financier
et politique. La proximité de Gastinne Renette inspire directement les noms
de scène des vedettes : Pistolet, Mousqueton, Carabine, Sabretache ...
sont directement sortis du catalogue de l'arquebusier.
Le Bal Mabille survivra jusqu'en 1863. Les dernières années, après la mort
du "Père Mabille", sa... veuve officiait en grand deuil, à l'entrée.
Survient alors la révolution de 1848 :
Louis-Philippe est renversé et la Seconde République proclamée.
C'est chez Gastinne Renette que les nouveaux dirigeants
révolutionnaires viennent se fournir.
Le "citoyen commandant gouverneur" de l'Hôtel de Ville se fait payer des
pistolets neufs et leurs accessoires par le nouveau régime.
Ses factures sont honorées d'un tampon par le "colonel Rey".
La possession d'une paire de pistolets Gastinne Renette à
300 francs-or est devenue, au milieu du XIXème siècle,
un signe social de réussite et d'importance.
Viennent ensuite l'épisode des émeutes de Juin, l'élection du
Prince Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République,
puis le coup d'état du 2 Décembre 1851.
Louis Gastinne assoit définitivement sa renommée.
Il s'honore d'avoir, dans sa clientèle, les plus hauts personnages de l'état
et la plupart des familiers du Prince.
Le 27 Août 1852, le Prince encore Président commande "cinq ou six paires
de pistolets d’officier". Il s’agit de "donner un prix aux élèves de Saint-Cyr".
Louis Gastinne est convoqué au palais
de Saint-Cloud dès le lendemain.
Après la proclamation de l'Empire (décembre 1852) la Maison Gastinne
Renette va devenir le fournisseur attitré de Napoléon III
et de la cour Impériale.
En Avril 1855, "Monsieur Gastinne Renette, Armurier de Sa Majesté
l'Empereur, Avenue Montaigne" reçoit un laisser-passer qui prouve la
grande confiance qu'on lui témoigne : "Par ordre de l'Empereur,
Monsieur Gastinne Renette
est autorisé à entrer au Palais et à en sortir avec des armes".
Bientôt, malgré les courriers qui s'adressent tantôt "Allée des Veuves" puis
"Avenue Montaigne" et, enfin "Allée d'Antin", l'adresse de la Maison se fixe.
Les papiers à en-tête sont désormais libellés : "Gastinne Renette, à Paris, 39
Avenue d'Antin, Champs-Élysées, Canonnier arquebusier de l'Empereur du
Prince Impérial, de la Reine et du Roi d'Espagne".
Pour l'anniversaire des huit ans du Prince Impérial la Maison réalisera une
arme d'enfant finement ornementée qui est exposée
aujourd'hui dans la Boutique de Paris.
En 1853, Gastinne Renette fait breveter un système copié par la plupart des
arquebusiers de l'époque, et qui est à l'origine du fusil à deux coups, Ce
système, vendu à Charles Lancaster en Angleterre, sera le point de départ de
tous les fusils à percussion centrale.
Les chasse Impériales"
Les chasses de l'Empereur sont l'objet d'un cérémonial au sein duquel
Monsieur Gastinne Renette tient une place bien précise.
Monsieur de la Rüe, Inspecteur des Forêts de la couronne
nous relate la manière dont le fusil
- un Gastinne Renette - est présenté au souverain :
"Immédiatement après Sa Majesté, suit d'abord M. le baron de Lage,
lieutenant des chasses à tir qui présente de la main droite
le fusil chargé, et reçoit de la gauche l'arme qui a servi et
qu'il passe à M. Gastinne-Renette, arquebusier de l'Empereur,
M. Gastinne, après l'avoir examinée la remet entre les mains
d'un des huit sous-officiers qui forment la haie à droite et à gauche et qui
servent à faire arriver, par la droite, les armes chargées
à M. de Lage, et par la gauche, celles qui sont déchargées et qui
retournent aux chargeurs restes en arrière. "
A l'Exposition Universelle de 1855,
la première qui se tienne à Paris et précisément sur les Champs-Elysées,
le succès des armes présentées par la Maison Gastinne Renette
est remarquable : ainsi l'Empereur achètera toutes
les pièces exposées par son Arquebusier.
La petite histoire a retenu une anecdote qui montre l'intérêt, la passion
généreuse que Napoléon III portait aux armes :
Comme on lui remettait un fusil spécialement fait pour I'Impératrice,
I'Empereur en demanda le prix et, quand on le lui eut dit,
admirant le chef d’œuvre, il s'écria :
-"Ce fusil vaut beaucoup plus que cela. Vous doublerez la somme"...
"Exposition Universelle de 1855"
Les nouveaux procédés mis au point par Gastinne-Renette
sont à l'honneur : Le stand de la Maison est constitué d'un rassemblement
de : " Canons de fusil, fusils, carabines, canardières, pistolets, sabres, épées,
couteaux de chasse, nécessaires pour accessoires d'armes à feu."
Pour cette année 1855, la Médaille de Première Classe est
attribuée à Monsieur Gastinne qui:
"...fabrique ses canons lui-même, et le fait avec habileté. Sans négliger les
armes simples, il se livre, comme arquebusier de l'Empereur, à la confection
des armes riches. Il a exposé, entre autres pièces remarquables, un fusil de
luxe destiné à Sa Majesté Impériale. La crosse est ornée d'arabesques en or,
taillées dans une plaque pleine, et mises en bois avec le plus grand, talent.
(Dessin de Julienne, sculpture de Chartier, ciselure d'Attarge.)
Armes destinées au Vice-Roi d'Egypte, d'un goût exquis, d'une grande
richesse, incrustées de pierres fines. Monsieur Gastinne est
l'inventeur du système très ingénieux du chargement par la culasse qui leur
est appliqué. Magnifique paire de pistolets en boite, avec ornements de fer et
d'argent ciselés par Attarge. Belle épée à poignée d'argent et magnifique
couteau de chasse à lame incrustée, appartenant à I'Empereur ..."
Lors de sa visite inaugurale, Son Altesse Impériale le Prince Napoléon ne s'y
est d'ailleurs pas trompé qui a tenu à faire admirer»:...les splendides armes
commandées par l'Empereur à M. Gastinne-Renette, très riches, de très bon
goût, d'un excellent usage comme armes de chasse, ce que l'on ne peut pas
- dire de la plupart des objets analogues destinés à ne jamais figurer que
parmi les collections ou au milieu d’un musée. "
Il est intéressant de noter que l'Empereur et sa famille
en Exil après 1870 continuent d'avoir la Maison Gastinne Renette
comme fournisseur. Une facture de 1873 le précise.
Etablie sur ordre de "Monsieur le Prince de la Moskowa"
(un descendant du maréchal Ney),
elle consistait : "au nettoyage des six fusils de l'Empereur,
des quatre fusils de Sa Majesté l'Impératrice et
de quatre paires de pistolets."
C'est le fils de Monsieur Gastinne qui est chargé
de la livraison à Ostende. Cette mission de confiance
est confiée à celui qui dirigera
plus tard la Maison, jusqu'en 1900.
Dès, la fin du XlXème siècle la Maison Gastinne Renette
est aménagée pour permettre aux tireurs, aux très habiles
comme aux plus maladroits, de venir s'entraîner dans de très bonnes
conditions. C'est qu'il y a désormais affluence de "duellistes"
et que ces combattants du petit jour ne sont pas tous
à la hauteur de ce qu'ils prétendent.
Jules Gastinne puis son fils Paul (qui dirigera la maison jusqu'en 1936)
connaîtront tout des querelles qui agitent le Tout Paris de la Belle Epoque.
L'un et l’autre seront d’ailleurs des experts très écoutés
en matière de procès criminels.
Acheter ou louer une paire de pistolets chez Gastinne Renette est,
en matière d'honneur, le premier acte de tout duelliste. Le second est de
prendre un minimum de leçons pour savoir, une fois sur le pré, comment se
tenir dignement et, surtout, éviter ... l'assassinat. Au retour du Bois ou de
tout autre rendez-vous (comme celui de l'île de Jatte) et après restitution
des armes au loueur (Gastinne Renette), le troisième acte est de se retrouver,
offenseur et offensé autour d'une table du restaurant Ledoyen.
Tout cela, évidemment, si la santé le permet.
"C'est là que s'arrêtent les raffinés du point d'honneur, notait, déjà,
vers 1850, un fin observateur des mœurs. Le propriétaire de l'établissement
ne voit jamais passer deux fiacres à la suite l'un de l'autre, et contenant
chacun trois personnages, sans comprendre ce que cela veut dire :
- Plumons les canards ! voilà des combattants qui ne tarderont pas
à se transformer en convives : toutes les casseroles sur le feu !
et, de fait, une heure ne se passe pas sans que dix gaillards affamés par l'air
vif du matin ne se présentent sur le seuil du restaurant.
-Je sais ce que c'est, messieurs, dit avec bonhomie le Vatel des
Champs-Élysées : un déjeuner de réconciliation ...
Tout est préparé : le canard est fumant et aux olives ; il ne vous reste plus
qu'à vous mettre à table. Monsieur Alexandre Dumas s'est placé à cette
même place lors de son dernier duel ; un beau duel celui-là, messieurs, un
duel de premier choix : il s'y est bu six bouteilles de champagne ..."
De tous temps on s'est battu. A la Belle Epoque, toutefois,
on abandonna le principal prétexte qui avait cours jusque là : le prétexte
amoureux. On se rattrapa, dit-on, avec les duels politiques
qui bénéficièrent, par exemple
dans le Figaro, d'une rubrique quotidienne tenue par un spécialiste...
Entre 1585 et 1895, l'écrivain André Billy dénombra plus de cent cinquante
duels d'importance. Une foule d'anecdotes ont été recueillies.
Evidemment, Jules et Paul Gastinne, père et fils, étaient bien placés
pour les recevoir. Cependant, ils savaient se montrer discrets.
Les échos des affaires à
la mode ne perçaient guère qu'en famille.
On raconte que Clémenceau, alors député radical, devant se battre
avec Déroulède, le président de la Ligue des Patriotes, un beau matin de
1892, vint s'entraîner chez Gastinne Renette. Jules Gastinne, qui connaissait
très bien le "Tigre", lui fit confidence de ce que son adversaire venait juste
de le précéder au stand de tir de l'Avenue d'Antin :
- "Savez-vous, Monsieur Clémenceau, que vous n'avez manqué monsieur
Déroulède que de quelques minutes ?
- Bah ! mon cher Gastinne, aurait fait Clémenceau, c'est demain
qu'il ne faudra pas le manquer !"
Clémenceau, qui deviendra Président du Conseil en 1907, puis à la fin de la
Grande Guerre, était un tireur exceptionnel. Chez Gastinne Renette on
affirme qu'il était capable d'allumer une allumette à dix pas
(au pistolet) ... sans la casser.
C'est le même Clémenceau qui disait que tout ce qu'on racontait sur le duel
était absurde et qu'il n'y avait que les maladroits qui
réussissaient à toucher I'adversaire.
-"Ce sont ceux qui cherchent à s'effacer qui sont atteints. Mettez-vous bien
en face du pistolet de votre adversaire et narguez-le. Vous l'intimidez et il
vous manque. C'est comme au feu : courez au devant des balles,
vous êtes invulnérable !"
Le plus fameux client de Jules Gastinne fut certainement Laberdesque, un
professionnel du duel considéré comme le chef des "Mousquetaires". C'était
un redoutable bretteur qui dirigeait une sorte de club où, dit la chronique,
"offensé ou offensant pouvaient trouver des conseil, des témoins et préparer
son affaire dans les règles de I'art". A la limite, Laberdesque et ses
lieutenants pouvaient prêter leur talent. C'étaient de vrais "hommes
d'honneur". Il leur arrivait de se battre entre eux, torse nu"
Leur Arme, alors, était le sabre avec lequel ils se proposaient de "corriger les
préjugés, les ventres bourgeois, les politiciens à I'eau de rose". Volontiers, ils
provoquaient les malheureux provinciaux ou ignorants
qui s'aventuraient dans "leur" café :
le "Napolitain" (un des hauts lieux du "boulevard").
Un beau jour, donc, le géant Laberdesque se présente chez Gastinne Renette
et clame, d'une voix tonitruante :
- "Je suis déshonoré. Je me bats demain matin, mais au pistolet ...
Moi, infidèle à l'épée ! Cela me portera malheur."
Jules Gastinne lui donne un pistolet et l'accompagne dans la galerie de tir
où Laberdesque prend place à un stand. Il écoute quelques conseils et tire.
Du premier coup, il fait mouche ... et refuse la seconde balle.
- "Non, non ... le hasard a tout fait. Je veux tenir cela pour une promesse de
la Providence. Si je retire, je vais tout foutre par terre !" le lendemain, dit-on,
il logea une balle dans l'épaule de son adversaire. Car, un duel, ce n'était
pas exactement ce que disaient volontiers ses détracteurs : "on se plante à
vingt-cinq pas, on s'ajuste bien ou mal. Pan !
- On revient sur ses jambes avec un honneur tout neuf."
Le duel avait ses règles et, pour les faire respecter, un "gardien des
honneurs ". Celui-ci, pour l'épée, fut longtemps Jean-Joseph Renaud.
Pour le pistolet,
c'était le colonel Ferrus, "un vieux grognard, d'Empire", dit de lui Simon
Arbellot ... lequel eut, au Parc des Princes, un matin de février 1927, une
rencontre "d'honneur"
avec Robert Destez, lui aussi journaliste au Figaro.
"L'arme choisie par mon adversaire, qui était l'offensé, fut le pistolet, arme
réglementaire de tir rayée, se chargeant par la bouche du canon, ... Armes
lourdes louées chez Gastinne Renette ...
dont le chargement donnait lieu à un cérémonial méticuleux
placé sous la surveillance des témoins. Je vois toujours
le brave colonel Ferrus
sous l'oeil sombre d'Henry Torrès (témoin de l'offensé)
sortant de sa trousse un métronome comme nous en avions sur les pianos de
notre jeunesse. Il le posait sur le gazon et
le mettait en marche. Toc ... toc ... toc ...
Le commandement ne variait pas : Messieurs, êtes-vous prêts ? oui ... Feu !
Toc ... toc ... toc ... ajoutait le métronome. Il fallait, sous peine d'être
disqualifié et inculpé de tentative d'assassinat, avoir tiré avant le troisième
toc. C'est dire qu'on n'avait à peine le temps de viser.
Mais un malheur est si vite arrivé ! Nous ne nous fîmes aucun mal." (1)
(1)Simon Arbellot : la fin du boulevard
éditions Flammarion, Paris, 1965.
Ce devait être une des dernières rencontres au pistolet de l'histoire des
duels. Un des plus anciens ouvriers
de la Maison Gastinne Renette, Monsieur Riboulet,
aujourd'hui à la retraite, se souvient encore du duel de Bernstein contre
Bourdet et, dans les années cinquante, de la rencontre entre Braun,
un journaliste de France-soir, et un officier. L'arbitre alors,
était Monsieur Jean-Louis Renaud, descendant du Jean-Joseph Renaud
qui présidait à la Belle Epoque.
Un apprenti de la Maison Gastinne Renette accompagnait les duellistes ...
et les pistolets loués.
A propos des duels, il faut préciser qu'on ne se rencontrait pas de face mais
de profil (contrairement à l'idée reçue). On ne tenait son pistolet en l'air
qu'après le tir, "pour se protéger". Sinon on risquait de perdre l'amorce ...
Avant les ordres et le comptage
"un, deux, trois", on tenait le pistolet le long de la cuisse de manière
à ne laisser échapper ni l'amorce ni la poudre.
"L' Affaire Caillaux "
Le 16 mars 1914, Madame Caillaux, épouse du ministre des finances et
"inventeur" de l'impôt sur le revenu, rentre dans la Boutique et souhaite
faire l'acquisition d'une arme, son choix se porte sur un petit Browning.
Monsieur Gastinne s'enquérant tout de même
de la raison de cet achat, se voit répondre :
"Mon père m'a donné l'habitude de toujours porter un petit revolver
dans les circonstances délicates".
Madame Caillaux, essaie son arme sur le pas de tir et s'en va ... vider son
chargeur sur Gaston Calmette, directeur du Figaro, qui menait campagne
contre l'ancien président du Conseil en révélant des épisodes politico-sentimentaux de sa vie passée.
Les circonstances étaient en effet délicates !
Entre les deux guerres, la Maison Gastinne Renette s'illustre dans la
fourniture des plus belles armes de chasse qui se puissent trouver.
Les meilleurs 'fusils" du monde
se fournissaient en armes, mais aussi en accessoires,
à l'établissement de l'Allée d'Antin
devenue "Avenue" d'Antin puis avenue Victor-Emmanuel III,
en attendant d'être aujourd'hui l'avenue Franklin D. Roosevelt.
Après le comte Clary et Alphonse XIII, roi d'Espagne, grand-père du roi
actuel, les trois meilleurs fusils étaient les "trois marquis": MM. de Créquy,
d'Estainville et de Castelbajac. C'était aussi l'époque où les fins tireurs
parcouraient le monde entier à la recherche du grand gibier.
Paul Gastinne-Renette, directeur de la Maison de 1900 à 1936, était un
remarquable expert et un homme d'esprit. Un jour, lors d'un procès devant
la cour d'assise de Seine-Infèrieure, il eut un
"duel" tout verbal avec un célèbre avocat...
"Messieurs les jurés n'attacheront pas à votre déposition plus d'importance
qu'elle n'en mérite. Ils savent qui vous êtes, Monsieur. Vous vendez au
premier venu des revolvers qui partent tout seul le lendemain!" avait osé
dire le défenseur du criminel.
"Pas au premier venu, maître..."coupa Paul Gastinne qui fit mouche. "Je ne
vous en vendrais certainement pas un dans l'état où
je vous vois en ce moment."
Le principe de cet homme de grande science mérite d'être rappelé : "Un
homme très fort est un homme très doux. Un grand boxeur n'est jamais pris
dans une rixe. Qui tire bien ne tire pas." Ce pourrait être notre devise.
En 1936, à la disparition de son père Paul, Monsieur
René Gastinne lui succède.
Durant la seconde guerre mondiale, les ouvriers, de nouveaux employés à
l'entretien et à la réparation, virent, un jour entrer une auxiliaire féminine
de l'armée allemande. Comme une des tâches de l'armurerie était de
fournir la Résistance, tout le monde crut qu'il y avait eu dénonciation …
En fait, cette auxiliaire venait en "pèlerinage" envoyée par son père :
il avait été apprenti dans les ateliers de la Maison Gastinne Renette ...
La chasse et les armes étant interdites durant cette période, René Gastinne
transforma son armurerie en magasin de cycles. Dans un entretien de 1952
avec un journaliste de l'Aurore, il explique :
"Je dus faire un second métier pour vivre. La bicyclette avait alors la vague
utilitaire que vous savez. Et, d'autre part, presque tous les
constructeurs d'armes et fournisseurs
de pièces détachées s'occupant aussi de cycles, je n'avais pas à hésiter.
Les armes sont redevenues ensuite mon métier".
En 1945, il y avait encore des restrictions. On ne manufacturait plus qu'une
trentaine de fusils par an. C'était l'époque où les chasseurs n'avaient droit
qu'à dix cartouches par an et par permis.
La reprise des activités s'effectua lentement,
jusqu'aux années cinquante où la production
de Gastinne Renette s'élevait de nouveau à
environ 200 fusils par an.
René Gastinne perdit ses deux fils : Bertrand en Algérie
et Jean-Rémy, ancien élève de Centrale
qui se tua dans le Mont Blanc.
En 1989, Gastinne Renette est repris par la Maison Guené,
Maison fondée en 1907, spécialiste renommé du cuir.
Aujourd'hui, deux Maisons de Prestige, au savoir-faire ancestral, par leur
complémentarité, sont à même d'offrir à leurs clients un ensemble
unique d'objets de très haute qualité.
Aux armes prestigieuses, répondent des articles en cuir, des vêtements, des
accessoires servis par le même souci de qualité, de robustesse,
la même passion des belles
matières et le même art de les travailler.
On redécouvre, dans le Magasin de Paris, auquel des maîtres artisans ont
su redonner le charme et le luxe d'antan, la collection prestigieuse des
armes anciennes sorties des ateliers de la Maison depuis deux siècles. Elles
côtoient les armes de très haut de gamme
fabriquées aujourd'hui dans ses ateliers.
Ce cadre historique qui accueillit les têtes couronnées du monde entier,
sera digne de la clientèle la plus raffinée,
Chacune des deux Maisons excelle dans le travail et la
transformation des matériaux
nobles que sont le métal, le bois, et le cuir.
On ne s'étonnera pas, dès lors, de retrouver sur chaque objet, la marque
aux deux petits pistolets, symboles de Gastinne Renette depuis la période du duel.